J’ai rêvé New York Parc départemental André-Malraux, Nanterre Quand New York s’étendit vers le nord dans les années cinquante du XIXe siècle, elle créa Central Park sur un terrain de marécages et d’habitat de misère. C’est un peu la même histoire à Nanterre dans les années soixante-dix du XXe… Toutes proportions gardées : le parc américain contiendrait une douzaine de parcs André-Malraux ! Mais cette nature fabriquée sur les remblais du chantier de La Défense a remplacé un bidonville, des terrains vagues et d’anciennes carrières. Alors, bien sûr, l’étang central, ses pigeons et ses bernaches du Canada ne rivalisent pas avec le Reservoir. Encore que, une fois installée La Verticale, sculpture monumentale de Jacques Zwobada, et devant le skyline de La Défense, on peut se faire son cinéma… Photo : Julia Brechler
Posté dans exposition

NATURES URBAINES, LA VILLE AUTREMENT

De la même manière que la vision périphérique augmente la sensibilité de l’œil, l’exposition de photographies grand format Natures urbaines, un autre regard – à découvrir jusqu’à l’automne au Domaine départemental de Sceaux et au parc des Chanteraines – suggère plus qu’elle ne désigne, elle invite à la curiosité, déplace l’attention, propose un angle de vue renouvelé : celui du chemin de traverse, de l’échappée belle vers l’imaginaire. Et nous donne à voir, à travers la vision personnelle des photographes du Département, ces îlots de nature qui se trouvent sous nos yeux, et que, force de l’habitude, nous oublions, parfois, de regarder.

Les jardins du T2
Jardins familiaux, Saint-Cloud

On n’a pas attendu le XXIe siècle pour redécouvrir les circulations douces : le T1 a été mis en service en 1992, le T2 en 1997. Comme beaucoup de monde, je fais tous les jours le trajet en tram pour aller travailler, assise quand c’est possible, avec de la musique dans les oreilles et un livre sur les genoux. Enfin, ce que je préfère, c’est quand même regarder à travers la vitre, les toits, les fenêtres éclairées. Et la végétation, il y en a plus en ville que ce que l’on croit. L’endroit que j’aime surtout, c’est dans une courbe à Saint-Cloud, entre Les Milons et Les Coteaux. Un petit bout de nature, un jardin familial, on appelait ça autrefois un jardin ouvrier. Un couple de retraités, il désherbe, elle arrose, je les vois tous les jours ou presque. Je m’invente leur vie, un peu comme la fille du train dans le polar. Il y a heureusement des choses qui ne changent pas trop vite dans cette nature familière.
Photo : Olivier Ravoire

Vous n’avez encore rien vu!
Observatoire ornithologique, parc départemental des Chanteraines, Villeneuve-la-Garenne

Que voit-il de nous, l’oiseau qui observe l’observateur ?
À l’affût en silence dans l’une des cabanes mises à la disposition du promeneur par le Département en partenariat avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux, nous n’avons que notre patience pour repérer, dans la nature pastel autour de l’étang des Tilliers, la rousserolle effarvatte, le martin-pêcheur, le bruant des roseaux ou le blongios nain, parmi les plus de cent espèces recensées dans la réserve ornithologique.
Vous êtes-vous déjà demandé comment, en face, les oiseaux nous voyaient, équipés de leur inaccessible « matériel optique » ? Percevoir 150 images par seconde, faire le point simultanément sur trois objets, zoomer du haut de l’arbre sur le grain de pollen, savoir que la nuit tous les chats ne sont pas gris, profiter du jour qui leur en fait voir de toutes les couleurs, bien au-delà de notre arc-en-ciel et avec la température en prime ! De quoi faire basculer notre regard sur les natures urbaines dans une autre dimension…
Photo : Willy Labre

Nature en perspective
Création du Parc Paris La Défense

Se souvient-on qu’André Le Nôtre, inventeur à Sceaux, Saint-Cloud et Meudon du paysage à la française, est aussi celui qui dessina « l’axe historique » de Paris ? D’est en ouest, la perspective cavale aujourd’hui depuis la statue équestre de Louis XIV devant la Pyramide du Palais du Louvre, jusque sous la Grande Arche de La Défense. Elle traverse le Jardin des Tuileries, caracole le long des jardins des Champs-Élysées et déboule, en freinant des quatre fers, sur la dalle de La Défense où la course de la nature semblait brutalement s’arrêter. C’est bientôt de l’histoire ancienne : un nouveau parc va pousser entre la fontaine Agam et le bassin Takis, sur cinq hectares et six cents mètres de longueur, ajoutant aux quatre cent cinquante platanes et tilleuls existants de nouvelles strates d’arbres, d’arbustes, de pelouses et de fleurs. Renversement du paysage minéral, lutte contre les îlots de chaleur, foisonnement de la biodiversité : le parc Paris La Défense deviendra le troisième jardin de l’axe historique.
Photo : Julia Brechler

Vert coquet, vert clairet
Vignes du Pas-Saint-Maurice, Suresnes

L’Île-de-France n’est plus le terroir qui comptait jadis plus de quarante mille hectares de vignes ! Si demeure, de l’autre côté de la Tour Eiffel dressée là comme un épouvantail en plein champ, le folklorique Clos-Montmartre, c’est ici à Suresnes que recommencent les choses sérieuses…
C’est aujourd’hui le plus grand vignoble de la région, un hectare de nature viticole, cépages chardonnay et sauvignon qui donnent « le meilleur vin blanc d’Île-de-France » – ce n’est pas nous qui le disons mais en 2018 le jury d’un concours officiel et parisien – « parfumé, friand et délicat » renchérit un célèbre critique gastronomique. De quoi nous autoriser la facétie d’être, en matière de vin blanc, chauvin…
Photo : Julia Brechler

Les derniers feux de l’artifice
Grand rocher du parc départemental de la Folie Sainte-James, Neuilly-sur-Seine

Si l’on se retournait, le regard s’apaiserait sur un jardin clos aménagé pendant l’entre-deux- guerres dans la manière mauresque du Généralife de Grenade. Mais de ce côté-ci, il s’enflamme dans la passion rococo pour les ruines, grottes et fabriques de jardin dont brûlait le siècle des Lumières. Ce qu’il reste malgré les vicissitudes de ce jardin-spectacle, sauvegardé par le Département au moment de son acquisition en 2009, témoigne de l’abondance ayant dirigé sa conception : le baron de Sainte-James confie en 1777 à l’architecte Belanger les décors du pavillon principal et du jardin, de même que la mission de rivaliser avec son œuvre précédente, la Folie d’Artois, aujourd’hui Bagatelle.
Au goût de l’époque, qui est celui des peintures de ruines d’Hubert Robert, de l’exotisme à la chinoise et de l’éclectisme des styles, la nature n’est jamais si belle que sous le déguisement de l’artifice…
Photo : Willy Labre

Plumes d’or sur promenade bleue
Un air de savane, escaliers du parc de Bécon, Courbevoie

Drôle d’endroit pour une renaissance… Sur l’Île Fleurie jadis, il n’était question que de guinguette, de matelote et de pichet, Mistinguett y faisait recette, les Quatre Mousquetaires jouaient de la raquette à balles blanches. Petit à petit, la nature folâtre a cédé devant la brique industrielle, l’usine à papier, le hangar à tabac, les chantiers, les rails, l’autoroute… On en oubliait la Seine nourricière.
Ouvert en 2006, agrandi en 2012, le parc départemental du Chemin-de-l’Île raconte une histoire d’eau pour tous, jeux, prairies, jardins et bassins filtrants. Imaginée par le Département, la « promenade bleue » passe par ici, elle coule écologique et paisible de Rueil à Colombes, elle a rouvert les berges de Seine à tous ses riverains, du promeneur à l’insecte pollinisateur…
Photo : Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Comme un arbre dans la ville
Paris La Défense

Dans le futur, le parc de La Défense sera devenu une seconde nature pour le quartier d’affaires, plus personne dans un monde post-carbone ne songera alors à parler de « la dalle ». Ça commence par de tout petits riens. Ce matin, en sortant du tramway, j’ai remarqué l’arbre, il venait d’être planté au pied de l’immeuble où je travaille. Fragile comme un rejeton de l’hiver, bientôt vivace comme ses frères des forêts pour peu qu’on en prenne soin, comme du reste d’ailleurs. Et ça m’a rappelé cette chanson que fredonnait mon père autrefois : « Comme un arbre dans la ville, je suis né dans le béton, coincé entre deux maisons, sans abri sans domicile… »
Photo : Olivier Ravoire

La Chute de la Maison Chocolat
Château et parc de la Solitude, Le Plessis-Robinson

Pour se trouver en vue du mélancolique château de la Solitude, il suffit de suivre le parcours buissonnier, aménagé par le Département, qui traverse les bois de la Garenne et de la Solitude pour accéder à une nature de chênes et de châtaigniers plutôt inattendue – et écologiquement précieuse – en ville. Inattendue aussi, la ruine du castel néogothique édifié au début du XXe siècle pour l’héritière des chocolats Marquis, aussitôt surnommé le Château Chocolat, avant d’aller, d’affectation en abandon, à la chute finale. Reste aussi le romanesque : Raymond Radiguet mit en scène ce château de Robinson dans son roman, Le Bal du comte d’Orgel.
Photo : Julia Brechler

Nature idyllique
Jardin de l’Île Verte, Vallée-aux-Loups, Châtenay-Malabry

Dans le vaste continuum de nature et de mémoire qu’est le parc départemental de la Vallée-aux-Loups, centré autour de la Maison de Chateaubriand, l’Île Verte, au nord-est, forme comme un espace et un temps autonomes, de jardins généreux et de climats tempérés. Des îles vertes, il y en a partout dans le monde – mais peu tirent leur nom d’une peinture visionnaire d’un artiste supérieur : Jean Fautrier, locataire après la Libération et pendant vingt ans de la maison au lierre au-dessus du bassin.
Rares également les îles vertes qui ont su conserver malgré les embardées – la guerre puis l’œuvre et la personnalité tourmentées de Fautrier n’étant pas les moindres – leur cachet romanesque et apaisé, préservé par le Département qui en est propriétaire depuis vingt ans. Aussi, davantage que l’atoll volcanique du peintre abstrait, c’est cette allée de lumière couverte qui en exprime le mieux le caractère idyllique, comme si Tolkien y avait nourri les Hobbits de sa Comté
Photo : Willy Labre

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