Jacques Blanchard, Le Temps dévoilant la Vérité, vers 1625. © Collection particulière
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SIGNES, ÉNIGMES ET CLÉS

Le musée du Domaine départemental de Sceaux nous invite à comprendre les significations oubliées de la peinture baroque. Une enquête à suivre aux Anciennes Écuries du 15 septembre au 14 janvier.

Laurent de La Hyre, L’Astronomie, vers 1650.© Orléans, musée des Beaux-Arts, François Lauginie

L’essentiel de l’exposition Allegoria, les clés de la symbolique baroque se déroule en France, au XVIIe siècle, comme une scène de crime sans trop de crimes et avec quantité d’indices, afin de donner du sens à ce qui n’en a plus aujourd’hui pour le profane, c’est-à-dire la grande majorité d’entre nous. Les spécialistes entendent bien nous les révéler, au premier rang desquels Dominique Brême, directeur du musée départemental du Domaine de Sceaux et commissaire de l’exposition. Ainsi donc Allegoria ne serait pas le nom de la dernière super-héroïne en vogue ? « Une allégorie, explique-t-il, est la représentation d’une figure portant des attributs en relation avec l’idée qu’elle incarne ; ainsi la Justice s’accompagne d’une balance et d’une épée, la Prudence d’un miroir et d’un serpent, tandis que la Grammaire s’incarne sous les traits d’une femme arrosant un pot de primevères… » Pourquoi une Grammaire jardinière ? Parce que – en citant l’ouvrage Iconologia de Cesare Ripa, publié à Rome en 1593, qui sert à la fois de vade-mecum et de modus operandi à cette exposition – son geste veut signifier « qu’il en est de même des jeunes esprits, et qu’à force d’être cultivés, comme des plantes encore tendres, ils portent des fruits d’exquise doctrine, pour la commune utilité du public. »

Le code Ripa

L’ouvrage en question, traduit et publié en France vers 1640, s’attache à expliquer « images, emblèmes et autres figures hiéroglyphiques des vertus, des vices, des arts, des sciences […], des passions humaines ». Avec beaucoup plus de sérieux et de révélations que le Da Vinci Code, voilà en quelque sorte le Ripa Code, « œuvre nécessaire à toute sorte d’esprits et particulièrement à ceux qui aspirent à être […] orateurs, poètes, sculpteurs, peintres… » Le hiéroglyphe tel qu’on le fantasme à la Renaissance est « un signe qui contient à la fois la référence à la réalité visible, et à l’idée abstraite que contient cette réalité, précise Dominique Brême. C’est un pont jeté entre l’intelligible et le sensible, la forme parfaite de l’expression du monde selon l’homme. » Vient ensuite l’idée que « l’image et le texte, considérés séparément, sont insuffisants à exprimer le contenu du message, et que c’est dans la relation, dynamique et critique, entre le texte et l’image, que se noue le sens de l’emblème. » Illustré de nombreux objets et exemples éclairés de manière à nous les rendre accessibles, le parcours de l’exposition conduit à une véritable galerie commentée de peintures allégoriques qui répondra à toutes les interrogations, même celles qu’on n’imaginait pas.

Allégories mode d’emploi

On reste confondu par l’érudition nécessaire à la maîtrise des centaines d’allégories décrites par Cesare Ripa. Le temps a passé et nous ne sommes plus les mêmes.

Passe encore pour les génies fondateurs et les artistes habiles à la pratique d’un ouvrage touffu, sans le recours à l’hypertexte ou la recherche par images… Mais qu’en est-il du profane dans la Galerie des Glaces, à Versailles, avec plus de 350 allégories peintes au plafond par Le Brun ? On publie à son intention des livrets – rappelons que les visiteurs n’étaient pas les mêmes que ceux d’aujourd’hui – qu’ils peuvent feuilleter en marchant. Un « mode d’emploi » de l’allégorie que l’exposition de Sceaux revitalise à sa manière, aussi bien dans son parcours que sous la coupole du Pavillon de l’Aurore, elle aussi peinte par Le Brun.

« Charles Le Brun est sans doute le plus grand peintre d’allégories en France : il ne conserve du code que les éléments qui l’intéressent, il sait ne pas s’égarer dans la “quincaillerie”, il fait attention à le respecter tout en conservant une neutralité morale. C’est ce qui fait la grandeur du discours allégorique : il ne doit pas être passionnel pour s’ouvrir à toutes les sensibilités. » 

Didier Lamare
Allegoria, du 15 septembre au 14 janvier, aux Anciennes Écuries du Domaine départemental de Sceaux.
domaine-de-sceaux.hauts-de-seine.fr

 
 
 

L’Espérance, de Pierre Mignard (1612-1695)
Une allégorie commentée par Dominique Brême

 

Pierre Mignard, L’Espérance, 1692.© Quimper, Musée des Beaux-Arts

Cette allégorie de l’Espérance correspond dans l’Iconologia de Ripa à L’Espérance divine et certaine. Elle a les mains jointes, levées vers le ciel ainsi que le regard : cela signe le détachement des choses relevant de l’ici-bas et indique en qui la figure met son espérance. La guirlande de fleurs qu’elle porte sur la tête est l’espérance des fruits futurs qu’elles donneront. Il en va de même des quelques herbes tenues par le putto, l’enfant joufflu, immédiatement à droite, annonciatrices de belles récoltes. Les deux putti à droite représentent, pour l’un ce que l’on pourrait nommer l’Attente, porteur du serpent Ouroboros qui se mord la queue pour marquer le Temps, et d’herbes pour l’attente de la récolte ; l’autre qui l’enlace, le Réconfort. Les deux concepts décomposent en quelque sorte la figure principale : le Réconfort, s’inscrivant dans le Temps, s’apparente à l’Espérance.

Le putto de gauche porte une palme, symbole de martyre. Cela signifie que l’Espérance – en cela qu’elle porte une promesse – demande le sacrifice du présent et notamment des plaisirs. La couronne de dix étoiles symbolise la Gloire, récompense du sacrifice, comme dans l’expression « auréolé de gloire ». L’Ancre enfin, derrière la figure, est l’attribut traditionnel de l’Espérance : elle symbolise le port que l’on espère atteindre, au milieu des périls, et où l’on jettera l’ancre.

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