Le glacier Perito Moreno, de 30 kilomètres de long et 700 mètres d’épaisseur, est l’un des quarante-huit alimentés par le champ de glace Sud de Patagonie, troisième réserve mondiale d’eau douce. Patagonie argentine. 2007. © Sebastião SALGADO
Posté dans exposition

UN MONDE D’EAU ET DE LUMIÈRE

Le photographe Sebastiaõ Salgado présente, jusqu’en septembre à La Défense, dans un pavillon de bambou installé sur le parvis, Aqua Mater, une exposition au fil de l’eau.

Cette ancienne carrière est maintenant remplie d’eau pour la baignade et la pêche. C’est aussi la carrière qui a livré les pierres de l’Empire State Building. Carrières de calcaire, Bloomington, Indiana, États-Unis, 1988.©Sebastião Salgado

C’est une maison de bois installée sur le parvis entre Takis et Calder. Un pavillon de bambou des vallées de Colombie d’où est originaire l’architecte Simón Vélez. Éphémère et renouvelable, à l’échelle du lieu et à la manière des malocas, les grandes maisons communautaires des tribus amérindiennes qui sont des villages en soi : huit mètres au plus haut de son toit en chaume, quinze de long, huit de large, quinze mille éléments assemblés mécaniquement, mille mètres carrés de déambulatoires et de coursives sur la dalle de Paris La Défense comme sur l’Orénoque. À l’intérieur de cette forêt, grâce à la ventilation naturelle et dans la lumière dorée de milliers de bougies, l’atmosphère est à la contemplation d’un monde merveilleux menacé de disparition : le nôtre.

Le Brésilien Sebastiaõ Salgado, photographe au regard d’aigle, expose pour la première fois Aqua Mater, une série d’une cinquantaine de tirages sur la thématique de l’eau. Grands formats noir et blanc spectaculaires, emblématiques d’un style qu’il développe depuis bientôt cinquante ans. Comme toutes les stars de la photographie – et surtout de ce domaine documentaire très particulier à mi-chemin entre le photo-journalisme et la photographie d’art -, Sebastiaõ Salgado ne laisse pas indifférent. Fils de propriétaire terrien, né dans la « brousse brésilienne » du Minas Gerais, un pays de forêts et de mines de l’intérieur des terres, il suit des études d’économie en militant dans les mouvements marxistes : l’air du temps de la fin des années soixante n’est pas sain dans le Brésil de la junte militaire. Salgado finit ses études à Paris, travaille en relation avec l’ONU pendant quelques années, emportant durant ses voyages un appareil photo. Il a souvent raconté les déclics en rafale qui l’ont mené d’une carrière en costume trois-pièces à l’aventure humaine et artistique qu’il entreprend à partir des années soixante-dix : « Quand je rentrais de mission en Afrique, je prenais dix fois plus de plaisir à développer mes photos qu’à rédiger mes rapports économiques ». Autodidacte, il travaille au sein de l’agence Gamma – celle de Depardon – puis de l’agence Magnum – celle de Capa et de Cartier-Bresson – avant de fonder avec son épouse Lélia Wanick leur propre agence, Amazonas Images. À ses débuts, le photographe aiguisé au crâne poli à l’os porte le cheveu long et la barbe abondante, fréquente les communautés rurales et les migrants des villes, l’Éden et l’Enfer. « Je ne veux pas que mes photos éveillent la mauvaise conscience, expliquait-il dans une interview en 2000. Ces personnes n’ont pas besoin de notre compassion, mais de notre compréhension. Il faut les respecter et les aider à s’en sortir. »

À hauteur d’homme

Sebastiaõ Salgado photographie à hauteur d’homme – et depuis quelques années, la terre qu’ils arpentent, en « quête du monde des origines, des paysages, des animaux et des peuples qui ont su échapper au monde contemporain ». C’est durant le monumental projet Genesis – une série de près de quarante reportages au très long cours commencé il y aura bientôt vingt ans, que le germe d’Aqua Mater a poussé. L’eau, sans laquelle il n’est rien de vivant, le carburant de toutes formes de vie. Ici, c’est la magie de l’eau polie comme un métal dans la fournaise du Sahara où se reflète la fragile lisière de végétation échappée aux sables. Là, l’assemblée des manchots royaux le long du rivage antarctique des Îles Sandwich, en cercle ainsi que pour un rituel chamanique. Et ainsi de suite, il y en a des dizaines de la même eau… L’homme est « le sel de la terre » dans l’œuvre de Salgado – le cinéaste Wim Wenders en a même fait le titre du documentaire qu’il lui a consacré en 2014 ; même quand il est invisible, il n’est jamais absent. Une humanité et une nature qu’il réunit désormais sur sa palette de noirs intenses et de lumières feutrées, à la manière d’un peintre du clair-obscur qui ne renoncerait pas à l’effet pour mieux nous ouvrir les yeux. « Quand je photographie en noir et blanc, tout se transforme en gammes de gris, je rentre dans l’illustration pour rendre toute l’expression réelle et essentielle des gens », précisait-il récemment dans une master class.

L’eau à travers l’art

En première mondiale, comme on le dit au cinéma, à Paris La Défense – avant Genève, Milan et ailleurs -, en partenariat avec nombre d’institutions publiques et privées dont le Département des Hauts-de-Seine, Aqua Mater est un projet politique, au sens le plus ancien du mot, qui associe la culture et l’environnement sous le patronage de l’Unesco. « Je n’ai aucun espoir que mes photos changent directement quoi que ce soit, déclarait encore Sebastiaõ Salgado à l’orée du XXIe siècle. Mais j’espère que nous passerons de la prise de conscience à la participation. » Il a fait le job, comme on le dit au stade ! À nous de nous laisser déborder par les émotions profondes de cette « invitation au voyage et au recueillement ». Sur la terre irriguée quand tout va bien, empoisonnée quand tout va mal, Sebastiaõ Salgado nous propose pendant six mois de nous regarder dans son miroir. Quant aux retombées financières de son travail, il les investit dans le cadre de l’institut Terra pour la restauration de l’écosystème du bassin du Rio Doce, berceau du domaine familial devenu parc national brésilien : une terre pelée par l’exploitation forestière, replantée de millions d’arbres, où des milliers de sources se régénèrent et où faune et flore reviennent.

Didier Lamare
Aqua Mater, Paris La Défense, jusqu’au 22 septembre aquamatersebastiaosalgado.art/paris

 

 

 

Les commentaires sont fermés.