La « cantine » joue les portes d’entrée du tiers-lieu. © CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega
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À La Tréso l’art de se reprendre en main

 

Dédié aux fabrications artisanales, culinaires et numériques, ce nouveau tiers-lieu à Malakoff propose de renouer avec le plaisir de faire soi-même et ensemble.

En soirée et en semaine, plusieurs personnes sont venues apprendre l’encadrement.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega

C’est un bâtiment rouge, tout en haut de l’avenue. On y vient à pied, on ne frappe pas, ceux qui vivent là n’ont pas fermé à clé. L’inauguration de la Tréso en septembre dernier a permis aux Malakoffiots de découvrir sous un jour nouveau l’ancienne trésorerie municipale. « Je travaille à la médiathèque. Je me souviens être venue y apporter l’argent des cotisations. Ça n’a plus rien à voir », estime Claudine. Au rez-de-chaussée, la verrière Art déco, délivrée de sa chape de béton, joue les puits de lumière au-dessus d’une cuisine ouverte sur une salle de quarante couverts, la « cantine », qui sert des produits frais et locaux. À l’étage, dans la « galerie », le carrelage a été reconstitué mosaïque par mosaïque et, le long des murs, une fresque murale, dérobée elle aussi aux regards pendant des années, a repris sa place. En son centre la tour Malakoff, élément phare d’un parc d’attraction au XIXe siècle, à laquelle la commune doit son nom. La restauration du bâtiment joue ainsi sur différentes strates historiques et dévoile des éléments cachés. Avec les machines hybrides de toutes espèces formant un fablab diffus dans les étages, la modernité s’y est aussi installée, éveillant la curiosité. « J’explique aux gens qu’ils vont pouvoir les utiliser pour bricoler et monter en compétence », raconte Théo, contributeur au projet. Déjà des discussions s’engagent, des projets et des envies prennent forme.

Au premier étage, la « galerie » offre une grande table d’activités et réunit six artisans autour de son espace central.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega

Aventure collective

Avec la Tréso, trois tiers lieux sont désormais réunis dans un mouchoir de poche. La Ressourcerie, rebaptisée depuis peu « La Fabrique de Malakoff », a ouvert ses portes il y a trois ans pour redonner une seconde vie aux objets. Casaco, le « grand frère » de cette famille collaborative accueillait déjà depuis 2014 dans ses espaces de coworking une « tribu » de travailleurs indépendants ainsi que le fablab de l’association Les Fabriqueurs et ses machines. C’est à Casaco qu’a germé l’idée d’un tiers-lieu autour des fabrications culinaires, artisanales et numériques. « La fabrication cristallise pas mal de questions, souligne Grégoire Simonnet, cofondateur des Fabriqueurs et de la Tréso. D’abord celle de la transition écologique. Les industriels font des objets sur lesquels on n’a pas notre mot à dire, qui ont un impact. Ensuite il y a la segmentation du travail : quelqu’un qui fabrique un objet a du pouvoir sur vous. Enfin, il y a le plaisir de faire. On valorise plus un objet qu’on a fabriqué soi-même. » À l’heure des communautés virtuelles et des tutoriels Youtube, pourquoi se retrouver en chair et en os ? « Dans l’interaction, il y a quelque chose en plus », explique l’ancien ingénieur en informatique. Cette envie coïncidait avec celle de la ville de reconvertir le bâtiment de l’avenue Wilson. Bibliothèque, salle de justice de paix, de danse, trésorerie générale… depuis les années trente, il avait joué tous les rôles et était devenu, dans l’attente de jours meilleurs, une réserve. En 2016, une consultation auprès des habitants a donné au projet l’onction populaire. La Métropole, la Région et le Département, à hauteur de 300 000 euros dans le cadre de son contrat de développement avec la ville, ont apporté leur soutien financier à cette aventure « collective dès le début » portée par une société coopérative. Dès la gestation, à coup « d’apéro Tréso » à Casaco, les co-initiateurs ont voulu inclure l’utilisateur final « un peu comme ce qui se fait déjà pour la conception de sites internet ou d’applications ». Une « maîtrise d’usage » qui transparaît par exemple dans la modularité de la « cantine », où des jouets sont placés à hauteur d’enfant, et qui, de bar et restaurant, peut se faire aussi espace de coworking ou d’atelier. La grande fête de lancement des travaux en novembre 2018, des visites de chantier et, sur la fin, des ateliers collaboratifs de peinture ou de fabrication de meubles ont aussi permis de construire, sans attendre, une communauté.  « Ça nous a pris de l’énergie mais lors de l’ouverture, le lieu existait déjà », sourit Grégoire.

Grâce à ses voisines couturière, brodeuse ou plasticienne, Rémi, résident à la Tréso, va pouvoir customiser ses postes radios.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega

À l’étage, dans des compartiments ouverts sur la « galerie » et ses machines à leur disposition, six artisans sont à demeure. Volonté des fondateurs, l’ouverture à tous les publics s’étend aussi à ces professionnels.  « À Casaco, certains venaient frapper à notre porte, explique Grégoire. On parle beaucoup de coworking pour les indépendants, mais jusqu’au XIXsiècle, les artisans partageaient leurs locaux !» Moyennant un loyer modique, chaque locataire s’engage à « contribuer » deux heures par semaine par des ateliers. Sur le plan de travail de Fleur s’accumulent colle de peau de lapin, fers de gravure, feuilles d’or, attirail servant à réaliser, selon la technique séculaire de la dorure à l’eau, des objets de déco moderne, « très inspirés par la nature ». « Je démarre mon activité et la Tréso m’apporte une visibilité. C’est un lieu où l’on n’est pas isolé, qui permet aux artisans d’échanger des fournisseurs, des techniques, des machines. D’un seul coup le champ des possibles est énorme ! » Déjà des passerelles se sont créées. Avec la plasticienne Defné, l’ancienne juriste a par exemple animé  un atelier créatif pour les enfants. Chez Nine alias Kanine qui a transporté à La Tréso sa « patouille textile » écoresponsable, faite de délicates broderies aux influences japonaises, les premières commandes de jeans à customiser s’empilent. « Sur Instagram, on peut compter ses likes, mais on ne peut pas savoir pourquoi, ici je peux discuter avec les gens », explique l’enseignante qui a pris un mi-temps pour « aller au bout » de son projet. Quant aux postes de radio vintage restaurés par Rémi et rendus ultra-connectés, ils offrent un parfait support pour mixer ces différents univers.

Le fablab est équipé de nombreuses machines à commande numérique.©CD92/ Stéphanie Gutierrez-Ortega

Faire vivre le tiers-lieu

Atelier cuisine « antigaspi », initiation sur les machines numériques, fête de la fabrication, de la réparation… Pour faire vivre le tiers-lieu, le programme est dense. Après avoir découvert la découpe laser, en ce samedi après-midi, Émilie participe à un « atelier ouvert » des Fabriqueurs. Moyennant une cotisation à l’année, deux fois par semaine, les machines sont en accès libre et les plus aguerris aident les débutants. « J’aime faire des choses de mes mains et je suis curieuse des nouvelles techniques mais il me manquait un lieu pour concrétiser tout cela, explique la nouvelle habitante de Malakoff. J’ai envie de faire un maximum d’ateliers, d’essayer les machines, de rencontrer des artisans, pour trouver un projet à développer. » En attendant, la graphiste de profession prête main forte à la réalisation d’un sapin porte-bijou. Fêtes approchant, cet accessoire lui inspire bientôt l’idée d’un « calendrier de l’Avent en bois réutilisable ». Sont aussi de passage Olivier, fabricant d’arbalètes de chasse sous-marine, enthousiasmé par le nombre et la variété des machines, ou encore Reine, télétravailleuse parisienne, qui troquerait bien sa table de cuisine contre un bureau et soumet ses plans à la sagacité des Fabriqueurs. En début de semaine suivante, on retrouve Émilie, décidément infatigable, à un atelier couture animé par Laetitia. Autour de la grande table de « la galerie », récupérée dans une école d’arts plastiques et encore mouchetée de traces multicolores, elles sont quatre à réaliser leur corbeille en tissu. Pendant ce temps dans la « cantine », un atelier « encadrement » réunit autour de Fleur, Isabelle, Mireille et Sylvie, « ancienne instit » passionnée de loisirs créatifs qui n’exclut pas de « partager cette technique avec les enfants de la maison de quartier ». Finalement faute de temps, la « pose du biseau », ultime étape, doit être reportée. Mireille et Sylvie qui se sont découvert des enfants du même âge vont donc se revoir. Qui sait, peut-être en sortira-t-il un projet commun ? Par définition, la programmation de la Tréso n’est pas figée. L’équipe de cinq salariés appuyés par les bénévoles et contributeurs, la bâtissent à partir des suggestions, compétences et talents qui croisent leur chemin. « Plus on croise les thématiques, plus on fait se rencontrer les gens, plus il va y avoir de sérendipité, conclut Grégoire Simonnet.
Du moment qu’elles sont cohérentes avec le lieu, on étudie toutes les propositions. » 

Pauline Vinatier
www.latreso.fr

 
 
 
 

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