CD92/illustration : Laurent Duvoux
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L’autonomie un défi numérique

Créée par les Hauts-de-Seine et des Yvelines, l’Agence interdépartementale de l’autonomie explore, par l’intermédiaire de son Hub Innovation, des solutions numériques pour favoriser le « bien-vieillir ».Le petit Buddy regarde tendrement son créateur avec ses grands yeux. Ce robot très mignon a été programmé pour devenir en quelque sorte l’ami idéal : celui qui assure une compagnie physique au quotidien, celui qui aide en cas de difficulté mais aussi celui qui garde le contact avec le reste de la famille. « Une présence bienveillante, c’est ce qui est le plus souvent demandé par les personnes âgées », résume Rodolphe Hasselvander, le « papa » de Buddy et fondateur de la société Blue Frog Robotics. Ce Parisien a mis au point ce robot made in France quand il s’est retrouvé confronté à la perte d’autonomie de l’un de ses proches. Les actions de Buddy – discuter, envoyer des photos, écouter de la musique mais aussi se connecter à de la téléassistance pour lever un doute sur l’état de la personne – sont désormais bien définies ; ne reste plus qu’à voir arriver sa bonne bouille dans les foyers et résidences. Pour cela, il s’est tourné vers le Hub Innovation qui vient tout juste d’accueillir sa première « promo ». Ce « laboratoire » a pour objectif d’accompagner pendant six mois les start-ups de demain dans le domaine du numérique au service de l’autonomie. « Il y a quatre ans, il y avait encore des personnes qui disaient que le numérique allait tuer le contact humain, qu’il était l’ennemi des personnes âgées, trop discriminant, se souvient Christophe Lorieux, directeur du Hub. Aujourd’hui, tout le monde est convaincu du contraire mais le secteur médico-social est très en retard dans le domaine. Dans chaque filière, il n’existe que quelques logiciels qui ne communiquent pas entre eux. Il y a donc une foule d’acteurs à faire travailler ensemble. » Le retard a été amplifié par la crise sanitaire dont les personnes âgées ont été les premières victimes. « Cette crise a mis en avant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, reprend Christophe Lorieux. Le renforcement du lien social et l’éveil sensoriel sont devenus essentiels mais on manque de ressources. »

 
Robotique, applications, site internet… Les douze jeunes start-ups boostées au Hub Innovation proposent des solutions variées pour l’autonomie des personnes âgées.©CD92/ Julia Brechler
Certaines de ces applications entrent concrètement dans le quotidien des soignants et ont pour but de valoriser leur travail.©CD92/ Julia Brechler

Les ressources vont arriver par l’intermédiaire d’une Agence interdépartementale de l’autonomie créée par les Yvelines et les Hauts-de-Seine. Celle-ci se présente sous la forme d’un GIP (groupement d’intérêt public) qui concentre les moyens, missions et compétences dans ce domaine pour mieux accompagner à domicile tout en donnant la place aux innovations technologiques. « C’est une belle machine qui va nous permettre d’aller plus vite et plus loin en offrant des solutions modernes et pragmatiques aux personnes âgées », confirme Armelle Tilly, conseillère départementale déléguée aux personnes âgées. Pour cela, ce groupement va s’appuyer sur l’expertise de l’association yvelinoise Invie dont le but est de développer et moderniser le secteur de l’aide et des services à la personne. Le GIP pourra profiter ainsi d’un beau réseau de cent quarante établissements dans les deux départements.

Autre volet du Hub, l’équipement d’établissements en tablettes numériques avec une phase de test par les résidents.©CD92/ Julia Brechler

Innovation et maturité

Aujourd’hui, une douzaine d’entrepreneurs se retrouvent au campus des Mureaux. C’est ici, dans cet ancien centre de formation d’EDF tout en brique, que sont imaginées les solutions qui viendront peut-être soutenir les seniors de demain. Dans un couloir, Nicolas Chiquet, créateur de LifePlus, n’arrête pas de regarder sa montre. Il n’est ni pressé ni en retard, simplement en train de travailler. À son poignet gauche, DonaCare, un cadran noir très élégant avec un bouton sur le côté qui permet de lire l’heure, avoir un œil sur ses pas de la journée et, si besoin, envoyer un message d’alerte. « La plupart des dispositifs d’alerte sont des médaillons ou des boutons dont les usages sont monofonctionnels. Nos premiers retours montrent un taux d’usage de près de 90  %. » Schéma à l’appui, le chef d’entreprise montre son but : prévenir la fragilisation, ce stade situé entre la bonne santé et la dépendance. À sa montre, Nicolas Chiquet veut ajouter GenerationCare, une panoplie d’objets connectés qui prennent des mesures de santé et donnent ensuite une série de conseils sur la nutrition, l’activité physique et la mémoire. DonaCare ayant déjà été vendu en 2019 à un groupe d’Ehpad, c’est le deuxième volet que la start-up veut développer aujourd’hui dans le Hub. « L’objectif est d’être accompagné sur une commercialisation et de mener l’expérimentation avec les deux Départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine. »

L’accompagnement en est à son tout début : aujourd’hui, les entrepreneurs apprennent à « pitcher » leur concept, c’est-à-dire le « vendre » en deux minutes chrono. « Au total, ils travailleront sur douze thématiques. Certaines sont assez généralistes comme la conduite de projet ou le design thinking mais d’autres vraiment axées sur l’autonomie comme le maintien à domicile ou l’habitat », indique Ghyles Assam, responsable de l’E-Tonomy Boost, le nom donné à cet accélérateur. Les porteurs de projets entrent ici avec un POC, un « Proof of concept » qui assure la faisabilité. Ils ressortiront « boostés » avec un produit final en passe d’être commercialisé. C’est en tout cas le souhait de Rodolphe Hasselvander. « Le Hub permet de travailler sur du concret, d’être opérationnel. Au bout des six mois, Buddy sera testé et adapté et le but est de le vendre à un Ehpad. »

Pour sélectionner les douze jeunes pousses qui suivent les modules d’accompagnement, un appel à projets a été lancé en juin avant une sélection sur une cinquantaine de candidatures. « L’un des critères est celui de l’innovation car des solutions sont déjà présentes dans la filière de l’autonomie. Puis il y a celui de la maturité du projet et enfin la qualité de l’entrepreneur et sa disponibilité sur six mois car certains d’entre eux sont par ailleurs salariés », note Ghyles Assam. Sophie Maillard, elle, débarque tout droit de Suède pour importer Minnity. « Lorsque nous avons créé l’entité française, je me suis demandée où je pouvais créer des emplois et j’ai choisi les Yvelines et les Hauts-de-Seine. Deux Départements qui s’allient pour les personnes âgées, c’est un bel exemple. Cet accélérateur travaille à la fois avec des entreprises privées et publiques et l’un ne va pas sans l’autre. » Sur son téléphone, elle fait défiler le profil d’un certain Jean Valjean, tout sourire sur sa photo. Cette toute jeune entreprise, multi récompensée en Scandinavie, a pris le parti de faciliter et valoriser le travail des aidants à domicile. Le salarié a donc, par cette appli, accès à des outils qui simplifient le quotidien comme un planning mais ils peuvent aussi monter en compétence grâce à du micro-learning, des vidéos de quelques minutes qui peuvent être vues dans les transports par exemple. Ils ont enfin accès à une multitude de petites infos personnalisées sur Jean Valjean, allant de son suivi médical au… nom de son chat. « On n’accompagne pas Huguette comme on accompagne Georges, prévient Sophie Maillard. Cette appli, c’est aussi pour redonner de la dignité aux personnes âgées et de la place au care, plus reconnu dans les pays anglophones. »

Spécificité du Hub : il associe également des étudiants des deux départements qui ont ici un rôle d’aide ou de conseil.©CD92/ Julia Brechler

Tablettes en résidences

À Versailles, il se prépare un événement d’un nouveau genre aux Jardins d’Arcadie. Dans cette résidence service, la directrice Aude Chapuis organise une animation sur Gauguin. Elle va pour cela inaugurer son nouvel écran interactif qui permet à une douzaine de résidences qui vont pouvoir suivre simultanément l’activité. « On a beau mettre des moyens, on ne peut pas toujours faire plusieurs animations par jour. Le mercredi est une journée plus creuse, il pourra désormais y avoir des activités d’autres résidences pour jouer ou s’informer », explique la directrice. Les résidents ont également droit à une autre surprise : douze tablettes numériques, elles-aussi fournies par le Hub Innovation, font leur entrée au coin bibliothèque. « Elle marche sur batterie ? » s’enquiert Andrée, curieuse. À côté d’elle, Reine espère « faire travailler [ses] neurones » grâce à ce nouvel outil. « Je pourrai l’utiliser pour faire mes recherches ou me cultiver. En tout cas, je suis prête à apprendre ! » Dans cette quête de l’autonomie informatique, les résidents seront aidés par quatre étudiants de l’Idrac, une école de commerce des Hauts-de-Seine. C’est l’une des spécificités du Hub : inclure les plus jeunes dans le projet et les faire travailler sur ses différents volets. « C’est bénéfique pour les start-ups car cela leur permet d’avoir du recul sur leur projet, de la fraîcheur, de la jeunesse et pour les étudiants, c’est une manière de se former », indique Ghyles Assam. Tatiana, Océane, Hanna et Grégoire cherchaient absolument un projet qui impliquait le troisième âge dans le cadre de leur cursus. Pendant près de deux mois, ils vont multiplier les visites à Versailles pour aider les personnes âgées à apprivoiser les tablettes et proposer un ensemble d’applications qui pourraient ensuite être déployées sur d’autres tablettes dans d’autres résidences. « On a hâte pour la suite car on voit qu’elles ont envie d’apprendre et qu’elles sont plutôt à l’aise », poursuit Tatiana. Pour Aude Chapuis, toute cette technologie n’est pas de trop entre un cours de gym et un autre de poésie. « À n’importe quel âge on peut apprendre quelque chose de nouveau. Les personnes âgées ont été catégorisées comme vulnérables, à nous de mettre un terme à ces idées reçues ! »

Pendant six mois, les start-ups incubées au Hub bénéficient d’une douzaine de modules destinés à développer leur projet et le rendre commercialisable.©CD92/ Julia Brechler
D’autres start-ups font partie du volet Inno ESMS : leurs solutions numériques – comme ici des casques de réalité virtuelle – sont testées pendant plusieurs mois auprès des personnes âgées avant un retour d’expérience.©CD92/ Julia Brechler

Cyclisme virtuel

À quelques kilomètres, à Jouy-en-Josas, la résidence Arpavie Juliette-Victor va elle aussi pouvoir s’instruire, à distance, sur Gauguin grâce à l’écran interactif reçu la veille. Mais d’autres solutions encore plus originales sont apparues dans cet Ehpad de 95 places qui est entré via le pôle innovation d’Arpavie dans le dispositif Inno ESMS (Établissements et services médico-sociaux), l’autre volet du Hub Innovation. Ce matin, trois casques de réalité virtuelle sont testés auprès de six résidents. Lucette n’a pas mis sa tenue de sport mais la voici enfourchant le pédalier situé à ses pieds, à l’assaut virtuel des routes du littoral du pays basque. Et les qualificatifs ne tardent pas. « Ah c’est super, c’est extraordinaire, c’est merveilleux ! J’ai vraiment été médusée car j’avais l’impression d’y être avec les jeux d’ombre et de lumière. Quand les voitures me doublaient, j’avais peur de me faire accrocher ! » Elle aura en tout pédalé quatre kilomètres, un très bon exercice pour le bas du corps pour Floriane Blier, la psychomotricienne de l’établissement. « On peut utiliser ce casque pour le loisir ou sur un mode thérapeutique avec le pédalier. C’est un vrai travail pluridisciplinaire dans lequel on peut inclure le kiné ou le psychologue. Il permet de maintenir le lien social du résident et ainsi son autonomie. » Outre les visites de lieux touristiques et l’activité, les casques peuvent servir à la stimulation cognitive au moyen de jeux qui misent sur la mémoire ou l’orientation. « Cette période de Covid nous incite à innover. Ces casques permettent de travailler aussi bien en individuel qu’en espace partagé en respectant les distanciations », constate la directrice Marie Vauchelle qui s’imagine déjà utiliser l’outil sur ses résidents atteints de la maladie d’Alzheimer ou ceux difficiles à apaiser. Les casques seront testés pendant quelques mois à l’Ehpad qui se réunira régulièrement avec les autres expérimentateurs pour faire un retour d’expérience.

La résidence Juliette-Victor est également en train de recevoir cinq drôles de boîtiers noirs accompagnés de leur télécommande. À Lorient, Gilles Cheviller fait les comptes : ce sont près de 90 Zeebox qui ont été envoyées en janvier dernier dans les Ehpad des Yvelines. Son boîtier se branche à la télé comme un récepteur TNT et permet de recevoir des messages, des photos, des infos voire de passer des appels en visio. Il a été conçu pour être le plus simple possible avec une télécommande qui se substitue à celle de la télé, et peu intrusif sur le programme en cours de visionnage. « Lors de notre première expérimentation, nous avions des tablettes mais nous nous sommes rendus compte qu’elles n’étaient jamais utilisées sauf lorsque la famille venait », se souvient Gilles Cheviller, directeur commercial de cette start-up bretonne. Entre 2011 et 2017, les concepteurs vont revoir leur copie avec des seniors, des professionnels du service à la personne et de la téléassistance. La première version commercialisée s’est vendue à plus de mille exemplaires, principalement des résidences service. Aujourd’hui, l’expérimentation Inno ESMS tombe à pic pour le développement de Zeebox dans les Ehpad. « L’autonomie et les pathologies des résidents y sont différentes. Tout notre objectif est de voir quels aménagements nous pouvons encore apporter. » Le test va durer une année, ponctuée là encore par des retours des utilisateurs. Zeebox est l’une des six entreprises qui testent leur produit en conditions réelles avec Inno ESMS. « Cette fois-ci, nous ne sommes plus dans la théorie mais dans l’expérimentation, reprend Christophe Lorieux. Ces solutions vont impacter la qualité de vie de personnes âgées pour faire en sorte de les maintenir à domicile car ce sera la grande tendance de demain. » D’abord testées dans les Yvelines, ces solutions vont bientôt faire leur apparition dans les Hauts-de-Seine et les entreprises aujourd’hui en incubation au campus des Mureaux pourront par la suite devenir celles qui seront expérimentées dans les résidences. Histoire d’entretenir le cercle vertueux de cette alliance du numérique et de l’autonomie. 

Mélanie Le Beller

Une Agence interdépartementale pour l’autonomie

Outre le Hub Innovation, l’Agence interdépartementale de l’autonomie se compose d’un portail de services qui va organiser et déployer l’offre de services à domicile pour les personnes fragiles dans les deux départements. « Cette offre doit être utile, faciliter la vie de la personne âgée et de son écosystème », explique Armelle Tilly. Pour répondre à un futur besoin d’emplois, les Départements ont misé sur la mutualisation des ressources interdépartementales en travaillant avec Seine et Yvelines numérique qui développe des services numériques sur le territoire, et ActivitY’, le groupement chargé de l’insertion professionnelle des bénéficiaires du RSA : « L’objectif est d’accompagner cette transition par le développement économique, en créant des emplois et en proposant de nouveaux métiers avec des formations à la clé ».

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