© Illustration Laurent Duvoux
Posté dans Société

AVEC BOOST, LE POUVOIR SE CONJUGUE AU FÉMININ

Avec le soutien du Département, quinze femmes chefs d’entreprise bénéficient d’un parcours d’accompagnement de cinq mois, associant apprentissage théorique et consolidation de leur leadership.

Jambières retombant sur les chevilles, Pauline Moinet-Moldoun s’avance, toujours ingambe, comme un pied de nez à la médecine qui lui prédisait un sombre avenir. Avec un débit de mitraillette, la jeune femme met les pieds dans le plat : « Je suis handicapée et pourtant, j’ouvre une salle de sport ! ». Autour de la table, son auditoire exclusivement féminin tend une oreille attentive à son pitch d’une minute et demi. Cet exercice chronométré, en forme de profession de foi, fait aujourd’hui figure d’incontournable pour les jeunes entrepreneurs, hommes comme femmes. « Un jour, on m’a annoncé que je ne marcherais plus jamais, poursuit cette ex-danseuse professionnelle. Maintenant, j’essaie de transmettre ma force mentale à mes clients, par le biais du sport et de l’expression corporelle… ». Sa prestation achevée, les éloges l’emportent mais on entend quelques bémols. Capitaliser sur une histoire tragique permet de capter sans mal l’attention du public, mais gare au retour de bâton… 

Un exercice calibré

« Il faut éviter le côté « plombant » de la présentation, pointe le consultant Loïc Landrau, venu leur prescrire ses « six commandements du bon orateur ». Il est préférable de mettre de la résilience et du sourire dans le ton, contrebalancer par un trait d’humour, éviter les moments de flottement ou le regard fuyant, qui peuvent trahir une forme de stress. » Qu’il soit saupoudré de chiffres, pour frapper au cœur les investisseurs, ou fortement incarné, pour remporter un concours d’entrepreneurs, le pitch est une méthode de présentation de son projet entrepreneurial faussement décontractée, qui répond en vérité à une trame bien normée. Dévoiler une part d’intimité sans embarrasser son interlocuteur, faire jaillir son originalité sans troubler le message véhiculé… La frontière s’avère ténue entre l’équilibre parfait et le fiasco complet. Après une partie théorique de 45 minutes, place à la délicate écriture d’un premier jet pour les quinze participantes à cet atelier, programmé fin janvier, au cœur de Paris La Défense.

Camille Bedin, conseillère départementale déléguée à la stratégie d’égalité femmes-hommes, a pris la parole lors d’un atelier, le 19 décembre, à Paris La Défense.© CD92/Julia Brechler

« Dédramatiser la situation »

Problème : trousser un discours percutant, sans gauchir les faits, n’est pas une mince affaire ! En manque d’inspiration, Chiraze Atarsia, chasseuse de tête, délaisse finalement ChatGPT et son boniment stéréotypé. « L’ennui, c’est que j’ai l’habitude d’improviser. Or, là, j’ai compris qu’il me fallait un propos plus structuré… », se justifie la trentenaire. Autre difficulté à surmonter, le trac avec lequel les moins à l’aise doivent se débattre quand il s’agit de « monter sur scène ». Les astuces des comédiens épuisées, il faut s’en remettre à des ruses, parfois surprenantes, mais expliquées avec pédagogie par l’expert de la CCI : « dédramatiser la situation », « avoir un alter ego, telle Beyoncé », « fuir le jugement de ses proches, émotionnellement trop impliqués »… Ces préconisations font partie des fondamentaux enseignés dans le cadre des ateliers de professionnalisation du dispositif Boost entrepreneurs au féminin. Soutenu par le Département, ce programme étalé sur cinq mois permet d’accompagner une promotion de quinze femmes, retenues parmi les créatrices d’entreprises alto-séquanaises de moins de trois ans. 

Ce dispositif vise à lutter contre l’autocensure des femmes 

Miser sur l’empowerment

Porté par la Chambre de Commerce et d’Industrie des Hauts-de-Seine (CCI 92), il soulève des enjeux qui débordent la seule attractivité économique du territoire. « Ce dispositif fait partie intégrante de Femmes des Hauts-de-Seine, une action phare du Département pour soutenir l’entrepreneuriat féminin, souligne Camille Bedin, conseillère départementale en charge de la stratégie de la collectivité en faveur de l’égalité femmes-hommes. L’objectif vise à créer de l’empowerment, c’est-à-dire de lutter contre l’autocensure des femmes qui redoutent de ne pas être en capacité d’entreprendre, de capter le pouvoir économique et de gagner en indépendance financière. » En phase avec un marché du travail en constante évolution, les femmes surpassent désormais les hommes en nombre de créations d’entreprise individuelle. Une rupture historique qui prend sa source dans la forte proportion de diplômées fuyant le salariat pour se réfugier dans un emploi taillé sur mesure, en accord avec leurs valeurs. « Salaire, statut, voiture de fonction… Travailler dans un grand groupe présente ses avantages, mais après trente ans de carrière et à l’heure de me lever le matin, il m’en fallait plus pour me tirer du lit… », témoigne Agnès Rullier, autrefois directrice dans la communication et depuis reconvertie dans « l’éveil à l’éducation alimentaire ». 

Mêlant la théorie et la pratique, les ateliers favorisent les interactions entre les participantes.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Une prise en charge à 360°

« Malgré cette dynamique, les femmes se contentent trop souvent de créer leur emploi, sans assumer leur leadership et des ambitions plus larges, comme embaucher, aller chercher des prix et des financements pour grandir…, explique Julie Fabre, référente de l’initiative Boost pour la CCI 92. Victimes du syndrome de l’imposteur, elles vont d’abord vouloir correspondre à 100 % aux prérequis du chef d’entreprise… » En moyenne plus diplômées que les hommes, celles qui osent se lancer dans l’aventure réclament aussi plus d’accompagnement que leurs congénères masculins. Développement commercial, positionnement marketing, gestion financière, maîtrise des réseaux sociaux… Pour répondre à leurs vives attentes, Boost entrepreneurs au féminin fournit à travers huit ateliers collectifs des « kits » de connaissances techniques en prise avec les besoins du monde économique. Ces cours plébiscités sont renforcés d’un mentorat, de community building et de séances de co-développement. « Alors que j’étais en pleine remise en question de ma stratégie, j’ai été prise en charge à 360° par les experts de Boost, se souvient Chiraze Atarsia. Je travaille pour le secteur informatique, autant dire que je me bats pour paraître légitime, sans user de mon physique, dans un milieu très masculin… » Par effet miroir, la non-mixité du programme libère la parole et introduit, à l’en croire, un climat de confiance et un sens de l’entraide. 

Une réelle plus-value

Un constat partagé par Magali Valero, aux commandes d’un syndic « à taille humaine » et confrontée quotidiennement à l’isolement du dirigeant : « seul, on se concerte avec soi-même, mais on n’est jamais sûr de prendre la bonne décision sans contradiction. Là, en cas de difficulté, l’une de nous poste un message sur notre boucle WhatsApp et reçoit des réponses dans la minute : entre femmes, on se tend facilement la main ! » Reflets de leur minorité persistante dans les milieux scientifiques, les projets défendus par les participantes sont de nature commerciale (conseil en image, vente de produits du terroir…) plus qu’industrielle, et trouvent souvent un écho avec les phénomènes de société qui les affectent en particulier. « Je dirige une plateforme qui vient en aide aux femmes victimes de violences domestiques et prises dans un processus de dépendance financière, explique Ligia Paraiso, d’origine brésilienne. Jusqu’à présent, face aux investisseurs, je manquais de confiance autant que de vocabulaire… Mais maintenant, je sais que mon idée est innovante et capitale pour le pacte social, que j’apporte une vraie plus-value ! » Et un nouveau coup de boost, pour l’entrepreneuriat féminin… 

Nicolas Gomont
entreprises.cci-paris-idf.fr 

 

Les commentaires sont fermés.