CD92/Illustration Laurent Duvoux
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LA PROSTITUTION COMME CHEVAL DE BATAILLE

Depuis plus de vingt ans, l’antenne départementale du Mouvement du Nid accompagne les personnes prostituées et intervient en milieu scolaire sur les conduites sexistes et les violences sexuelles.

Quand je dis non, c’est non. » Le slogan de l’affiche du bureau donne le ton de l’action menée par le Mouvement du Nid : la sensibilisation à l’égalité filles-garçons, à l’estime de soi et au consentement. Fondée dans les années 30 par l’abbé André-Marie Talvas pour venir en aide aux jeunes filles prostituées, l’association s’est ensuite scindée en deux dans les années 70 entre d’un côté l’Amicale du Nid qui dispose de centres d’hébergement et fonctionne avec des salariés, et de l’autre le Mouvement du Nid composée en partie de bénévoles appuyés par des salariés. Ce dernier agit au plus près des personnes prostituées en les rencontrant sur les lieux de prostitution et en les accompagnant, si elles le souhaitent, dans leur démarche de réinsertion. Il a aussi pour rôle de mobiliser la société sur ce sujet. Aujourd’hui, l’association est présente dans vingt-huit départements, dont les Hauts-de-Seine depuis plus de vingt ans. Elle bénéficie du soutien financier du conseil départemental.

L’abolition du système prostitutionnel est son cheval de bataille historique mais les actions se sont peu à peu élargies et orientées vers la prévention des jeunes. Chaque année, l’antenne départementale va donc à la rencontre de deux à trois mille d’entre eux, à partir du collège. C’est la prévention dite « primaire », celle qui vient en amont pour empêcher les premiers comportements à risques. Le but est ainsi d’informer ce public sur les risques prostitutionnels, de lutter contre la marchandisation du corps mais aussi de faire réfléchir sur les stéréotypes de genre, l’égalité et la liberté dans la sexualité. Les ateliers de sensibilisation commencent dès la classe de quatrième, à un âge où il peut paraître difficile d’aborder tous ces thèmes. « En réalité, ce sujet les intéresse beaucoup, souligne Katérina Fragkoulaki, éducatrice spécialisée, chargée de prévention et d’accompagnement au niveau départemental et salariée du Mouvement. Ils ont très envie d’en parler alors qu’on leur demande peu leur avis. Ce sont des groupes qui ont la parole libre, débattent et participent beaucoup ». Parmi les thèmes les plus abordés, celui de la pornographie et plus globalement ceux qui touchent à l’image de la femme dans la société. « Il leur reste des choses à intérioriser comme le fait que les filles sont aussi libres que les garçons, notamment dans leur sexualité », explique Anne-Marie Bériot, bénévole et responsable de la délégation alto-séquanaise. Pour capter ce public jeune, le Mouvement s’appuie sur de petites vidéos de sensibilisation, soit produites par l’association, soit mises en ligne sur YouTube. L’antenne départementale participe également aux forums Giga la Vie organisés par l’Institut des Hauts-de-Seine, où les collégiens viennent discuter librement avec les animateurs sur l’éducation à la vie affective et sur la prévention des violences dans les relations sexuelles. « Là encore ils se montrent très intéressés par le sujet, confirme Katérina Fragkoulaki. À chaque fois, ce sont cent à cent cinquante jeunes qui viennent nous voir et à qui on doit faire percevoir quelques problématiques en un quart d’heure. » Toutes ces actions de prévention menées par la délégation des Hauts-de-Seine ont permis aux éducateurs de ressentir tôt le développement de la prostitution des mineurs. « Nous nous sommes rendu compte que ce sujet commençait à devenir tangible », poursuit Anne-Marie Bériot. Ainsi, l’association a été reconnue comme aide et appui pour les professionnels de l’action socio-éducative, souvent démunis face à ces situations (lire également notre article page 10). « Certains sont perdus, ont du mal à repérer les victimes. Leurs jeunes s’échappent, se sauvent, sont sur la défensive, ne leur racontent pas la vérité ou disent que tout est consenti », note Anne-Marie Bériot. Pour eux, la délégation a mis en place plusieurs outils spécifiques. En 2019, avec une start-up étudiante spécialisée dans l’éloquence, le Mouvement du Nid a reconstitué à Nanterre un procès d’assises fictif réunissant victime, agresseur présumé, avocats et procureur afin de donner des outils de compréhension à tous ceux qui sont amenés à rencontrer des jeunes mineurs en danger et mieux identifier, défendre et orienter les victimes.

Chaque année, le Mouvement du Nid rencontre deux à trois mille jeunes dans les Hauts-de-Seine.

Outre cette prévention « primaire », le Mouvement prend en charge la prévention « secondaire », cette fois-ci lorsque la situation prostitutionnelle est avérée. Pour les mineurs, les éducateurs sont de plus en plus sollicités par les professionnels de l’Aide sociale à l’enfance, les espaces santé-jeunes voire la police pour accueillir la parole de ces jeunes et instaurer une relation de confiance. « Ici, on ne juge pas, il n’y a pas de règlement intérieur, le public peut nous dire les choses très librement », reprend Katérina Fragkoulaki. Mais l’association fait face aujourd’hui à la multiplication des situations. « Il faut mutualiser les moyens et construire un réseau plus structuré que l’actuel qui marche beaucoup par le bouche à oreille », poursuit Anne-Marie Bériot.

Point d’appui

Pour les adultes, l’antenne des Hauts-de-Seine fait partie du réseau national agréé dans le cadre du « parcours de sortie » des personnes prostituées et travaille ainsi en relation avec d’autres acteurs du champ social. Dans ces situations, le Mouvement agit comme un point d’appui avant le passage de relais à d’autres structures pour par exemple prendre un cours de français, obtenir un hébergement ou s’orienter dans une formation professionnelle, étape clé de l’indépendance financière et de la sortie de la prostitution. Laisser cette existence derrière soi, c’est enfin se reconstruire avec l’aide d’un psychologue spécialisé, avec qui l’association est en relation, pour reprendre le contrôle et la considération de son propre corps avant de retrouver un chemin de vie plus apaisé. 

Mélanie Le Beller
mouvementdunid.org

 
 
 

 

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