Le Village éducatif de Saint-Philippe existe depuis 1888. Il est géré depuis plus de 70 ans par Apprentis d’Auteuil. CD92/Julia Brechler
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Le village où l’on réconcilie les jeunes avec l’école

Depuis près de soixante-dix ans, la Fondation Apprentis d’Auteuil accueille, forme et accompagne les jeunes en difficulté sur le site plus que centenaire de Saint-Philippe à Meudon. Reportage.

L’équipe de l‘accueil éducatif de jour gère deux lieux dans les Hauts-de-Seine : l’un à Meudon et l’autre à Courbevoie.©CD92/Julia Brechler

Dans le long atelier en brique, sur son plan de travail, Hugo est en pleine fabrication de son deuxième tréteau. Appliqué, le geste déjà sûr, il utilise son ciseau à bois pour fignoler l’angle de sa pièce. En première année de CAP, il entame une grande histoire  avec le bois, à raison de neuf heures d’atelier par semaine. « C’est ce que je voulais faire depuis la troisième, explique-t-il, le sourire aux lèvres. J’apprends à manier les machines et à me servir des outils pour fabriquer des pièces. » Par la fenêtre derrière lui, la vue est imprenable sur la Tour Eiffel et le quartier de La Défense. Le Village éducatif Saint-Philippe de Meudon jouit ici d’un emplacement idéal, à la fois proche de Paris et dans un écrin de nature de quatorze hectares. Une fois passée la grille d’entrée et remontée l’allée de la chapelle, la statue de saint Philippe se dresse comme pour guider le visiteur. Un orphelinat et une maison de retraite se sont installés ici en 1888 dans deux bâtiments de style néo-gothique imaginés par la duchesse de Galliera, l’une des plus grandes fortunes d’Europe de l’époque. Près de trois cents orphelins et cent Frères sont accueillis dans ces lieux dont la direction est confiée à la congrégation des Frères des Écoles chrétiennes. La propriété sera ensuite transformée en hôpital militaire lors de la Première Guerre mondiale avant d’être reprise en 1947 par les Orphelins Apprentis d’Auteuil.

Aujourd’hui, l’orphelinat et la maison pour les Frères n’existent plus mais l’esprit des lieux est encore bien présent. Saint-Philippe et Saint-Paul ont fait place à un seul ensemble éducatif fidèle aux principes d’Apprentis d’Auteuil : accueillir, sans considération d’origine, de religion ou de ressources, des jeunes rencontrant des difficultés et aider leurs familles. Ici on croise donc environ six cents ados, soit scolarisés soit accueillis dans l’une des structures sociales qui relèvent de la protection de l’enfance et qui travaillent en lien avec le Département. « Le point fort d’Apprentis d’Auteuil, c’est son accompagnement éducatif renforcé. Sur un collège de quatre-vingts élèves, nous avons une responsable de vie scolaire et quatre éducateurs. Vous ne trouverez ceci dans aucun autre ensemble catholique et c’est là notre différence, explique Thierry Campos, chef d’établissement coordinateur qui dirige l’ensemble des structures de formation du site. Nos établissements sont adossés aux centres d’hébergement et nous avons noué des liens avec les services de l’Aide sociale à l’enfance du Département et les milieux éducatifs extérieurs. »

Le village éducatif est composé d’un collège et de deux lycées – l’un professionnel, l’autre horticole -pour sa partie scolaire.©CD92/Julia Brechler

Quoi de neuf ?

La preuve avec l’Accueil éducatif de jour (AEJ) situé à quelques pas de l’entrée du collège. Ce matin, c’est le traditionnel petit-déjeuner « Quoi de neuf ? » du lundi pendant lequel, chacun leur tour, les jeunes vont raconter leur week-end. « Nous nous inspirons de la pédagogie Freinet qui valorise l’expression orale et crée des rituels pour renforcer la cohésion du groupe », explique Lydie Akra, cheffe de service de Cap Avenir 92, le nom de l’AEJ de Meudon. Ce groupe mixte de vingt-deux jeunes âgés de 16 à 21 ans vient ici du lundi au vendredi, six heures par jour. Le matin est consacré aux cours de remobilisation scolaire en français, histoire-géo et maths. « Le but est que les jeunes puissent être ensemble, note Harmony Kouame, l’une des quatre éducateurs de l’AEJ. On évalue leur capacité à écouter et à rester en classe. » L’après-midi, ils suivent des ateliers comme celui d’art-thérapie ou de socio-esthétique et participent à des stages d’immersion professionnelle. « On mise tout sur la devise d’Apprentis d’Auteuil : « La confiance peut sauver l’avenir », lance Jean-Luc Rouault, directeur de Cap Avenir 92, Boucle Nord (un autre AEJ géré par Apprentis d’Auteuil à Courbevoie) et du service d’accueil d’urgence. Ces jeunes ont souvent été malmenés par les adultes et ils doivent apprivoiser leur avenir. Pour cela, ils doivent prendre confiance en eux. »

Maillot parisien de Neymar sur le dos, jogging, bonnet sur la tête, Damien arpente les couloirs de l’accueil de jour. Placé depuis l’âge de cinq ans en famille d’accueil, il est arrivé il y a trois ans à Meudon. « À l’école, je me suis arrêté en CM1 car j’étais trop violent et je n’ai jamais pu intégrer un collège. Ici, je travaille sur moi, j’arrive à mieux me concentrer et je retrouve une insertion dans le monde professionnel. » À 18 ans, il souhaite désormais s’orienter vers la mécanique et enchaîne les stages de découverte pour trouver une alternance. « Notre accompagnement est complexe car il y a beaucoup de freins liés à l’éducation, à la perte de repères, aux addictions… reprend Samira Ibadioune, cheffe de service de l’AEJ Boucle Nord qui accueille vingt jeunes. À cela s’ajoutent pour certains des difficultés psychiques et psychopathologiques. »

Il suffit de traverser le perron pour arriver à la Mecs (Maison d’enfants à caractère social). Ici, l’encadrement se fait 24h/24 et 7j/7 puisque trente-six jeunes de 12 à 18 ans vivent sur place, dans trois « appartements » avec chambres d’une à trois personnes et salle à manger et de repos commune. « Tous sont scolarisés, certains sur le site, détaille Pauline Ghemri, directrice du dispositif protection de l’enfance à Saint-Philippe. Nous les prenons en charge au quotidien en leur donnant des repères. Pour certains, cela peut être simplement de se lever le matin ou de se mettre à table aux repas. » Pour chaque appartement, cinq éducateurs se relaient en permanence ainsi qu’une maîtresse de maison. Comme à l’AEJ, la mise en place de rituels et la valorisation du groupe sont des étapes très importantes pour ces jeunes. À l’appartement « Gutenberg », celui des 14-16 ans, c’est par exemple conseil d’appartement le mardi à 19 heures pour gérer l’intendance et dans les salles de repas, chacun se voit également attribuer une tâche ménagère. Des temps de thérapie complètent ce planning comme de l’art-thérapie.

La Mecs s’est quelque peu transformée depuis 2014 et a ouvert deux autres services destinés à fournir une réponse plus adaptée en fonction des situations. Le Sam (Service d’accueil modulable) peut intervenir en aval, auprès des garçons qui sortent de la Mecs. Pas de vie en collectivité en permanence mais une intervention au sein de la cellule familiale. « L’idée première est d’éviter le placement, de travailler sur le fonctionnement de la famille. Toutefois quand il y a trop de violence dans la famille, on va extraire le jeune, l’accueillir sur la Mecs et travailler avec lui », précise Céline Bénévent, éducatrice. À côté d’elle, Gabriel constate ses progrès : « Avant dans une classe, j’étais dans les cinq derniers, maintenant, je suis dans les trois premiers ! » Arrivé à la Mecs il y a quatre ans, le jeune homme avait une relation conflictuelle avec son père. C’est sur ce point que le Sam travaille, en voyant la famille comme un système dont il faut garantir l’équilibre. « Nous faisons du soutien à la parentalité, résume Stéphane Maillard, chef de service. Nous les aidons à retrouver leur posture, leur place de parent. C’est un gros travail qui demande beaucoup d’écoute. » Et des aides très concrètes comme pour formuler une demande de logement ou bénéficier d’un accompagnement vers l’emploi. Lors du premier confinement, Gabriel est retourné vivre chez son père, chose difficilement envisageable il y a quelques années. « Plus j’étais loin de lui, moins il y avait d’engueulades. Mais maintenant, on partage plus et on s’entend mieux. » Depuis quatre ans, il a grandi, mûri et pris confiance en lui grâce à Apprentis d’Auteuil qu’il porte des pieds à la tête sur son pull, son masque ou sur un pin’s. « Il a énormément évolué, remarque son éducatrice. En sixième, il nous arrivait de le récupérer en cris et en larmes. Le collège s’est bien adapté à la situation et le travail avec le psy lui a apporté beaucoup de sécurité. » Scolarisé au collège à Saint-Philippe, Gabriel espère poursuivre au lycée et s’orienter vers les services d’aide à la personne… ou « devenir acteur et gagner cinq Oscars ».

Les structures dédiées à la protection de l’enfance proposent un accompagnement des jeunes en difficulté.©CD92/Julia Brechler
Parmi les formations disponibles à Saint-Philippe – dont certaines en apprentissage – les filières industrielles comme l’électricité et l’électrotechnique.©CD92/Julia Brechler

Gérer son budget

Pour d’autres, Apprentis d’Auteuil est une sorte de tremplin pour plonger dans le grand bain de la vie adulte. Pour cela, il y a le Sava (Service d’accompagnement vers l’autonomie) pour les jeunes jusqu’à 21 ans qui n’habitent désormais plus sur le site mais à l’extérieur, en logement diffus en foyer ou en résidence. « Habiter seul accélère l’autonomie. Par exemple, si on ne va pas faire les courses, on ne mange pas, observe Hacina Belacel, cheffe de service du Sava. Cela met directement dans la réalité ces jeunes qui doivent souvent grandir plus vite que les autres. C’est également une alternative très intéressante pour ceux qui ont connu le collectif depuis petit. » Payer un loyer, gérer un budget (revenu ou allocation), comprendre sa première fiche de paie : des actes anodins de la vie quotidienne que l’on apprend à ces jeunes sur la voie de l’insertion professionnelle. Aujourd’hui, Dayron vient demander un conseil à son éducateur Abdoulaye sur ses impôts. Après avoir vécu en foyer à Issy-les-Moulineaux, il habite désormais dans une résidence à Bagneux depuis fin décembre et fréquente le Sava depuis deux ans. « Au début, c’était compliqué de gérer mon argent, j’avais l’impression de gagner trois mille euros par mois ! Je commandais beaucoup à manger, ce qui me revenait cher, donc maintenant je me recentre sur des dépenses plus utiles. » La Mecs gère enfin un dernier service, un autre accueil éducatif de jour à Asnières.

Apprentissage

En sortant du prieuré et en traversant l’allée centrale, changement climatique sous la serre du jardin de trois hectares. L’horticulture est l’un des enseignements historiques du site puisque la duchesse de Galliera a fait construire très tôt ce terrain pour les Frères cultivateurs de l’époque. Ici, on s’active chaudement mais sûrement. La quinzaine d’élèves de Pro’pulse – Prépa Apprentissage met les mains dans la terre en semant tomates et salades. Un premier contact végétal concluant pour Loman, 21 ans, qui mesure patiemment le demi-mètre qui doit séparer chaque plantation. « J’aime l’idée de travailler dehors. Avant, je ne faisais pas grand-chose et j’ai vu cette formation. Je pense que j’ai trouvé ma vocation et maintenant, je voudrais passer mon brevet professionnel. » À côté, Steven, 23 ans, a déjà une solide expérience dans la filière verte avec son CAP travaux paysagers. « Mais j’aimerais m’orienter vers l’aide aux personnes en difficulté dans ce secteur, donc j’aimerais passer un bac pro l’an prochain. » Ce groupe n’en est qu’au début du chemin : leur formation va durer trois mois pendant lesquels ils vont s’immerger dans le métier. Le groupe est plus « vieux » que dans les autres formations centrées sur l’apprentissage puisque les âges vont de 18 à 29 ans. « Pour certains, il s’agit d’une reconversion ou d’une réorientation et pour d’autres d’un raccrochage scolaire », explique Thierry Campos. Pro’pulse – Prépa Apprentissage va leur mettre le pied à l’étrier et a pour but ultime la signature d’un contrat d’apprentissage. Pour conforter ces jeunes dans leur choix, des stages d’immersion sont prévus. Trois formations de durée allant de trois mois à un an sont proposées, liées à deux unités de formation en apprentissage (UFA). Outre ce dispositif, les diplômes du CAP au BTS se préparent en alternance dans les domaines de l’électricité, de l’électrotechnique et de l’horticulture, avec, toujours, l’accompagnement spécifique d’Apprentis d’Auteuil. « Nous avons par exemple des chargés d’entreprise qui peuvent se déplacer en cas de problème. Cela nous permet d’avoir des relations de qualité et finalement très peu de ruptures de contrats », remarque Denis Vegnant, directeur adjoint en charge de l’apprentissage. Comme son nom ne l’indique pas forcément, la Fondation Apprentis d’Auteuil n’accueille pas uniquement des élèves en alternance. À Saint-Philippe, ils représentent environ deux cents jeunes. « Nous avons beaucoup de lycées pro dont l’objectif est de faire rebondir les jeunes par des formations professionnalisantes. L’enseignement professionnel peut amener à la réussite », insiste Thierry Campos. Même sans apprentissage, les jeunes peuvent par exemple suivre des stages à l’étranger ou préparer le Graal de l’artisan : le concours du Meilleur apprenti de France.

La duchesse de Galliera a construit sur ce site de 14 hectares un jardin horticole qui sert aujourd’hui de terrain d’apprentissage.©CD92/Julia Brechler
Comme Gabriel, près de six cents jeunes de 12 à 29 ans sont accueillis à Meudon chaque année, tous établissements et structures confondus.©CD92/Julia Brechler
La menuiserie est également au programme à Saint-Philippe avec la préparation d’un CAP.©CD92/Julia Brechler

Campus écolo

En plus des deux lycées professionnel et horticole, l’ensemble Saint-Philippe est composé d’un collège à petit effectif avec seulement quatre-vingts élèves et pas plus de quinze par classe. De quoi nouer un lien privilégié pour la directrice adjointe Céline Pierre. « Je les connais tous ! Pour les parents, c’est très rassurant et les professeurs connaissent le niveau de leurs élèves et peuvent personnaliser les parcours. Être dans un petit établissement permet d’avoir un œil positif sur les collégiens et d’être dans le dialogue. » En quatrième et troisième, les parcours se scindent avec, en parallèle des classes générales, deux dispositifs pour découvrir les formations à teneur professionnelle : la 4e Découverte des métiers et la 3e Prépa pro. « Ces classes donnent du sens à l’apprentissage, reprend Céline Pierre. Trois semaines de stage sont prévues ainsi qu’un temps d’intégration sur les deux lycées. » Une classe relais complète le tout, accueillant des élèves de tous niveaux d’autres établissements pendant huit semaines pour reprendre pied lorsque leur parcours devient chaotique. Trois sessions sont organisées sur l’année scolaire.

Créée en 1866, la Fondation Apprentis d’Auteuil est tournée vers l’avenir. Le Village éducatif Saint-Philippe va se transformer petit à petit pour devenir un campus totalement écolo. Pour « la planète », cinq moutons se chargeront d’ici peu de l’éco-pâturage sur les talus du site. Pour « les relations entre les humains », cela passe par une autre pédagogie, qui se base plutôt sur les compétences des élèves mise en place dès la rentrée prochaine et qui pousse encore plus loin l’accompagnement si spécifique d’Apprentis d’Auteuil. 

Mélanie Le Beller
saint-philippe.apprentis-auteuil.org

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