« Nous sommes en quête du grand tout »

© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

Physicien, auteur d’ouvrages grand public, Christophe Galfard revient sur les mystères de l’univers et sur ce que l’on sait de ses lois grâce à l’aventure scientifique.

HDS : Alors que nos ancêtres se croyaient au centre d’un monde unique, que savons-nous de notre place dans le cosmos ?

CG Nous savons aujourd’hui que nous appartenons à une famille de mondes, composée des planètes du système solaire, de toutes leurs lunes et leurs ceintures d’astéroïdes, au-delà de laquelle se trouvent d’autres étoiles, autour desquelles tournent d’autres planètes, puis des groupements d’étoiles formant des galaxies, puis des amas de galaxies, puis des superamas regroupés dans des filaments… L’ensemble est colossal. Nous ne sommes donc même pas le début du premier pixel d’une lettre sur un livre qui ferait un milliard de volumes ! Pas grand-chose et moins encore, même si par rapport au minuscule, nos propres corps sont gigantesques.

HDS : La lumière, qui voyage à près de 300 000 kilomètres par seconde, permet de sonder ces immensités…

CG Si aujourd’hui on sait que l’univers obéit aux mêmes lois partout, c’est grâce à la lumière qui permet de connaître la composition des étoiles lointaines, des planètes et des nuages de poussière. Malgré sa rapidité, elle met un certain temps à voyager, raison pour laquelle on voit tout cela avec un décalage. Dommage, me direz-vous, mais grâce à cela nous voyons comment se comportait telle partie de l’espace à tel moment dans le passé. On peut ainsi remonter dans le temps et retracer l’histoire de notre univers. Mais si on regarde très loin, à un moment il n’y a plus rien, parce qu’à cette époque, l’univers était beaucoup plus petit et extraordinairement dense, donc opaque. On appelle ce mur, cette limite de notre univers visible, la surface de dernière diffusion. C’était il y a environ 13,8 milliards d’années.

HDS : Notre vision actuelle d'un univers en mouvement doit beaucoup à Einstein. Pourquoi ?

CG Imaginez que vous preniez une nappe et que vous posiez une balle de pétanque ou de tennis dessus. La déformation va correspondre à la balle que vous choisissez et va créer des pentes qui attireront d’autres objets. C’est pareil avec le tissu de l’univers. En 1915, la théorie de la relativité générale d’Einstein a introduit un changement de paradigme par rapport à l’origine de la gravitation que nous ressentons tous, qui serait due à une déformation de la structure de notre univers, formée d’espace et de temps. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est la meilleure explication que l’on ait aujourd’hui pour décrire l’univers. Avant cela, les objets pouvaient changer, se transformer, mais pas l’univers lui-même. Mais dès l’instant où sa structure peut changer, il peut évoluer et donc avoir un début et peut être une fin. Comme révolution de point de vue, ça n’est pas mal ! C’est à partir de ce genre de découverte qu’on a pu passer d’un récit qui s’apparente à la mythologie ou à la religion à une logique scientifique.

Nous ne sommes même pas le début du premier pixel d’une lettre sur un livre qui ferait un milliard de volumes !

HDS : L’idée d’un Big Bang, c’est-à-dire d’un univers d’abord tout petit qui se serait mis à grandir n’a pas toujours fait l’unanimité…

CG Dans les premières équations d’Einstein, l’univers pouvait rester stable, s’effondrer sur lui-même s’il y avait trop de matière ou à l’inverse être en expansion s’il n’y en avait pas assez. Mais Einstein lui-même ne voulait pas y croire et a donc essayé d’améliorer sa théorie pour laisser la possibilité d’un univers qui ne bougerait que localement ! L’expansion, qui consiste en une augmentation de la distance entre tous les objets à l’intérieur de notre univers, donc en un univers qui s’étire, a été observée quelques années plus tard par l’abbé Lemaître puis par Hubble. Elle nous conforte dans l’idée du Big Bang, entendu comme un univers qui a commencé tout petit et s’est ensuite agrandi. Ce terme de Big Bang est en fait ironique et nous vient du physicien Fred Hoyle, opposé à l’idée d’un univers en mouvement.

HDS : Si cet univers en quatre dimensions est un défi à nos sens, qu’en est-il de la matière qu’il contient ?

CG Selon le physicien Paul Dirac, l’ensemble de l’univers baigne dans une sorte de mer, un vide, qui correspond au niveau le plus bas en énergie qu’on puisse imaginer. La matière telle qu’on la connaît et la lumière sont des perles qui goutteraient de cette mer. Trois champs quantiques ont été identifiés qui englobent tout. Un aimant sur un frigo est une manifestation de la force électromagnétique. Deux autres champs sont dans le minuscule, à l’intérieur du noyau des atomes : la force nucléaire forte qui les maintient compacts et la force nucléaire faible qui peut les casser. Ce sont ces forces qui donnent à la matière les caractéristiques qu’on lui connaît à notre échelle, même si ses propriétés dans l’infiniment petit ne correspondent pas à notre intuition. Ainsi les particules peuvent surmonter à peu près tous les obstacles comme si, depuis une rue de Paris, vous arriviez à sauter par-dessus la tour Montparnasse ! Les scientifiques imaginent qu’à l’origine ces trois forces étaient réunies en une seule avec la gravitation mais cela reste purement théorique…

HDS : L’unification des théories existantes sur l’univers est donc l’horizon actuel de la science ?

CG La physique quantique décrit le tout petit, la relativité le très grand. Mais quand il y a trop de matière, trop d’énergie, dans un espace trop petit, la structure même de l’espace et du temps nous échappe et s’effondre : c’est ce que l’on appelle des singularités. C’est une singularité qui se trouve potentiellement à l’origine du Big Bang. Je vous ai parlé du mur de dernière diffusion au-delà duquel s’arrête notre univers visible. Et bien en remontant au-delà de ce mur théoriquement, avec les seules mathématiques, arrive un moment où les conditions sont tellement extrêmes qu’on ne peut pas continuer non plus. On parle d’un « temps 0 » qui correspond à 380 000 ans avant que notre univers devienne transparent. Pour aller plus loin, il nous faut une théorie qui engloberait toutes celles que l’on  connaît. Une théorie du grand tout, de la gravité quantique. D’après les équations, les trous noirs sont aussi des singularités où les deux grandes théories se rejoignent mais, à la différence du Big Bang, ils sont multiples et ce sont des objets expérimentaux accessibles.

HDS : Où en sont les tentatives d’aboutir au « grand tout » ?

CG Il y a des pistes mais elles sont purement spéculatives. La théorie des cordes, par exemple, est une des grandes tentatives d’unifier la gravitation et la physique quantique en considérant que les objets de base de notre univers ne sont plus des particules élémentaires mais des cordelettes minuscules qui, en vibrant, donnent naissance à la force électromagnétique, aux forces nucléaires forte et faible et à la gravitation. Les quatre forces se trouvent ainsi réunies ! Elle implique l’existence de non pas quatre dimensions, comme avec la gravitation, mais de dix, et permet l’existence d’autres univers potentiels, parallèles au nôtre. Dans les années 90, on suggérait même que l’énergie originelle, le Big Bang, proviendrait d’une collision entre deux univers malchanceux… Certes tout cela peut paraître surréaliste. Mais dans l’histoire de l’humanité, la science a permis de découvrir des choses qui n’avaient jamais été vues auparavant. Nous arrivons dans un endroit où personne n’a mis les pieds avant nous et où notre seul outil est notre imagination. 

La Science se livre 2021

La 25e édition de La Science se livre, le rendez-vous de diffusion de la culture scientifique organisé par le Département du 23 janvier au 13 février, aura pour thème « Infiniment grand, infiniment petit ». Parmi les quelque deux cents animations gratuites proposées (sous réserve des conditions sanitaires), un cycle de conférences auquel doit participer Christophe Galfard. 

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