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RENCONTRE AVEC DES PERSONNAGES REMARQUABLES

Une galerie de portraits sculptés comme réinventés par le regard du photographe et le grand format :  Face à faces est à découvrir en plein air et en accès libre tout l’été dans les parcs départementaux de Sceaux et des Chanteraines, à Villeneuve-la-Garenne.

L’expérience de Face à faces tient dans l’ « s » final. La troisième dimension de la sculpture apporte une diversité presque infinie à ces portraits. Capté par l’objectif, le vivant semble s’animer, nous regarder et notre perception en est bouleversée. De ces figures des Hauts-de-Seine, nous en connaissons beaucoup, certaines sont universelles… Le face à face nous les montre autrement, à rebours parfois de ce que nous imaginions – c’est-à-dire de l’image que nous avions fabriquée en nous-mêmes. C’est la plus grande surprise de cette exposition réalisée par les photographes du Département. Face à faces, Les Figures des Hauts-de-Seine suggère un renversement des clichés par le cliché et nous raconte aussi, en creux, l’histoire d’un territoire devenu les Hauts-de-Seine en 1964.  

Textes : Didier Lamare

LA LÉGENDE D’UN SIÈCLE
ARNAUD KASPER (NÉ EN 1962) : LA COLONNE DU SAVOIR – VICTOR HUGO, BRONZE, 2002.
RUE DE COLOMBES, BIBLIOTHÈQUE DE COURBEVOIE.

Prise dans son ensemble, La Colonne du savoir – dressée symboliquement devant une bibliothèque – est un artifice de trois mètres et demi de haut, un empilement de manuscrits constituant le corps formidable de l’écrivain dont la tête pratique L’Art d’être grand-père. C’est dans le profil taillé à la manière des rochers et des châteaux qu’il dessinait à l’encre que Victor Hugo échappe au pittoresque pour rejoindre sa vérité monumentale…
Photo : CD92 Olivier Ravoire

LOU TRESOR DÓU FELIBRIGE
FÉLIX CHARPENTIER (1858-1924) : BUSTE DE FRÉDÉRIC MISTRAL, BRONZE, VERS 1911.
JARDIN DES FÉLIBRES, SCEAUX.

Le sculpteur était né comme son modèle dans cette Provence où l’on parle avec l’accent d’oc. Frédéric Mistral (1830-1914) la servit par ses écrits qui lui valurent le prix Nobel en 1904 et la fondation de l’association du Félibrige pour la sauvegarde et la promotion de celle-ci. Rien ne prédisposait le petit jardin de Sceaux à s’associer ainsi à la mémoire occitane, sinon la découverte tardive de la tombe de l’académicien Florian, poète et fabuliste cévenol, qui y mourut au XVIIIe siècle.
Photo : CD92 Willy Labre

DRÔLE DE DRAME
HANS MARKS (NÉ EN 1946) : SISYPHE HEUREUX, BRONZE, 1993.
SQUARE SAINT-JEAN, AVENUE CHARLES-DE-GAULLE, NEUILLY-SUR-SEINE.

Symbole de la vanité et de la démesure de la condition humaine, Sisyphe est « agité par de cruels tourments », chante Homère dans l’Odyssée : il « recommence sans cesse à pousser la roche avec effort, la sueur coule de ses membres, et des tourbillons de poussière s’élèvent au-dessus de sa tête ». À bien regarder le visage du nôtre dans sa lumière bleue, on lit plutôt de la détermination, une force tendue vers quelque chose qui ressemblerait à la liberté. Drôle de drame traduit par Albert Camus dans l’expression « il faut imaginer Sisyphe heureux » reprise par le sculpteur. « En vérité, le chemin importe peu, la volonté d’arriver suffit à tout ».
Photo : CD92 Julia Brechler

LE DÉTECTIVE QUI MET LE MYSTÈRE KO
NACÉRA KAINOU (NÉE EN 1963) : BUSTE DE LÉO MALET, TERRE CUITE, 2018.
MAISON DU PATRIMOINE, CHÂTILLON.

« Comme Madame Bovary pour Flaubert, Nestor Burma, c’est moi, y compris la pipe à tête de taureau… Le détective qui met le mystère KO, le directeur de l’agence Fiat Lux ! Tu parles : la lumière, c’est celle d’une vieille Mercedes dans la cour du 13 rue de la Gare à Châtillon, où ma trogne de vieil anar surréaliste fait partie du patrimoine. Mon premier Burma, en 1943, il s’appelait 120 rue de la Gare, l’adresse d’un pavillon disparu que l’ami Tardi a quand même dessiné, après. Ma série des Nouveaux Mystères de Paris, je ne l’ai jamais finie, la faute aux démolisseurs, à moins que ce ne soit à cause de tous les coups sur la caboche que j’ai reçus dans ma carrière. Pour finir chez moi à 86 piges, comme un Gavroche monté en graine. Et me retrouver modelé en terre par les mains de celle qui a fait le buste de Chateaubriand. Non mais, Chateaubriand, vous vous rendez compte ? »
Photo : CD92 Olivier Ravoire

LA FONTAINE AUX ROSES
JULES DECHIN (1869-1947) : BUSTE DE JEAN DE LA FONTAINE, PIERRE, VERS 1945. COUR DU CHÂTEAU LABOISSIÈRE, FONTENAY-AUX-ROSES.

Qui est vraiment Jean de La Fontaine, dont on ne retient de l’œuvre que les Fables dont de surcroît on n’entend plus la morale ? Innocent fabuliste, écrivain licencieux, académicien repenti ? On ne peut rien lire sur son visage, comme si La Fontaine pratiquait l’art de l’esquive. L’aventure ne s’arrête pas dans le secret de l’âme humaine mais chez un éditeur, Denys Thierry, qui fit fortune à la fin du XVIIe siècle en publiant l’écrivain. Ce qui reste de sa propriété aux champs accueille désormais le buste de pierre, copie d’un original en bronze dont les tribulations, installé en 1894 et fondu en 1940, mériteraient à elles seules une fable.
Photo : CD92 Olivier Ravoire

L’HOMME AUX MAINS D’ARGILE
D’APRÈS LYLE BARCEY (ARTISTE ACTIVE DANS LES ANNÉES CINQUANTE) : MARCEL CERDAN, BRONZE.
DEPUIS 2003, RUE MARCEL-CERDAN, LEVALLOIS-PERRET.

Enfant pied-noir né en Algérie dans une famille d’origine espagnole qui s’installe ensuite au Maroc, Marcel Cerdan appartient à l’élite populaire de ceux dont la France connaît encore le nom bien après leur disparition de l’affiche. À l’image d’hier Jean Gabin au cinéma, demain sans doute Zinedine Zidane artiste du foot. Champion de France, d’Europe, du Monde, malgré des blessures répétées au poignet qui lui valent entre autres surnoms celui de « l’homme aux mains d’argile », Marcel Cerdan est un gentil à la ville et un furieux sur le ring. Le 28 octobre 1949, l’avion qui l’emportait vers New York s’écrase aux Açores.
Il avait 33 ans.
Photo : CD92 Olivier Ravoire

UNE FIGURE D’HOMME
PAUL DUCUING (1867-1947) : MONUMENT À JEAN JAURÈS, BRONZE, 1929.
CITÉ-JARDIN, PLACE JEAN-JAURÈS, SURESNES.

Le corps penché à la tribune, parlant avec ses mains comme il est d’usage au pays occitan dont il est issu, Jean Jaurès (1859-1914) est tellement l’image que l’on se fait du tribun qu’il frôle la caricature. C’est en gros plan que le visage dit l’intensité de la flamme, la force tranquille et la puissance oratoire coulées dans le bronze depuis un siècle, autant dire l’éternité.
Photo : CD92 Olivier Ravoire

LE RESCAPÉ DE L’ENFER
AUGUSTE RODIN (1840-1917) : LE PENSEUR, BRONZE, 1904.
JARDIN DE LA VILLA DES BRILLANTS, MUSÉE RODIN, MEUDON.

Qui conserve du fameux Penseur de Rodin l’image d’un rêveur calme et tranquille ferait bien d’y regarder à deux fois. La grimace tordue sur la main, la puissance et la matière des muscles, noués comme des linges mouillés, ont vite fait de nous rappeler à l’ordre : ce Poète-là – car Le Poète fut l’un des premiers titres donnés à son œuvre par le sculpteur – ne fait pas dans la bluette. C’est Dante, l’auteur de La Divine Comédie, imaginé par Rodin comme un personnage de son chef-d’œuvre monumental La Porte de l’Enfer. Pire : avant de s’émanciper du portail infernal, Le Penseur aurait été inspiré par l’un des damnés des cercles de l’enfer, si ce n’est par le juge impitoyable les condamnant aux régions infernales. Autant dire qu’il revient de loin.
Photo : CD92 Olivier Ravoire

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